ÉDITORIAL — Une critique sans mémoire ni solution

ÉDITORIAL — Une critique sans mémoire ni solution

Enomy Germain parle, souvent, et fort. Il accuse l’État d’être capturé par le secteur privé, dénonce les politiciens qu’il estime corrompus, fustige les élites économiques, les gangs, les institutions internationales. Il peint un tableau noir de la situation du pays. Et il n’a pas toujours tort. Mais la force d’une critique dépend aussi de la position de celui qui la formule. Et là, il y a un vrai malaise.

Car Enomy Germain a été, ne l’oublions pas, membre du cabinet de l’ancien Premier ministre Garry Conille. Il a connu l’intérieur du système. Il y a siégé. Il y a travaillé. Où était alors cette lucidité ? Ce courage de dénoncer ? Pourquoi attendre d’être dehors pour devenir brutalement un chantre de la vérité ? Il ne suffit pas de dire les choses quand ça ne nous engage plus. Il faut avoir le cran de les dire quand on est encore en position d’agir. Et ça, malheureusement, il ne l’a pas fait.

Il y a là un problème d’éthique, de cohérence. On ne peut pas vouloir corriger les autres sans se corriger soi-même. On ne peut pas prêcher la rupture si l’on refuse de regarder son propre passé avec un peu de recul. La critique est salutaire, oui. Mais elle doit être portée avec humilité. Sans quoi elle devient un exercice de posture.

Et justement, c’est ce que beaucoup reprochent à Enomy Germain. Un discours très technique, très construit, mais trop loin du terrain. Une approche froide, académique, qui semble ignorer l’urgence concrète du quotidien. Il parle en économiste, pas en citoyen solidaire. Or, le peuple n’attend pas des schémas ni des tableaux, il attend des idées simples, des solutions claires, des engagements forts. En ce sens, son message reste souvent stérile.

Il y a aussi cette ambiguïté, qu’il serait honnête de clarifier. On ne peut pas se dire “technicien indépendant” tout en entretenant des liens étroits avec certaines figures politiques connues, comme Claude Joseph. La neutralité, si elle est revendiquée, doit être démontrée. Sinon, le discours devient soupçonneux, flou, et l’aura d’objectivité s’évapore.

Et puis il y a le ton. Ce ton professoral, distant, parfois condescendant. Ce ton qui, au lieu de rassembler, divise. Il est facile de critiquer ceux qui se battent encore dans la boue, quand on parle depuis une estrade. Mais ce pays n’a pas besoin qu’on le regarde de haut. Il a besoin de solidarité, de lucidité, de respect.

Alors, oui, on peut comprendre la colère, le désespoir, la frustration. Mais quand on a eu la chance de servir, même brièvement, on a aussi une responsabilité. On doit parler en bâtisseur, pas en simple commentateur. On doit faire preuve de cohérence, de mesure, et surtout de propositions.

Enomy Germain aurait pu être une voix utile dans cette transition. Mais pour cela, il aurait fallu qu’il accepte de se remettre lui-même en question. Critiquer, c’est bien. Se rappeler qu’on a été partie prenante, c’est mieux. Proposer, c’est indispensable.

Parce que le pays n’a plus besoin de juges. Il a besoin d’acteurs. Pas d’une énième leçon, mais d’un vrai engagement.

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